Pour qui s’intéresse à l’art aux différentes époques, une question se pose : pourquoi dénombre-t-on si peu de créatrices ?
Lorsque l’histoire commence à être enseignée au XIXe siècle, elle se base sur les stéréotypes de cette époque. En ce XIXe siècle, les femmes sont considérées en droit et en fait comme des mineures, l’idéal féminin est celui de la «ravissante idiote» appartenant au sexe «faible». La certitude est qu’elles sont incapables d’œuvres artistiques majeures. Pour rentrer dans ce cadre, les grandes artistes féminines des siècles passés sont effacées ou leurs œuvres minorées et celles du XIXe sont empêchées, découragées dans leur envie de créer.
Dans tout groupe humain, lorsque la possibilité existe de s’exprimer, des éléments se font connaître par leurs œuvres, aussi bien des hommes que des femmes. Pour ceux-ci ou celles-ci, il y a une nécessité de créer, de transmettre un savoir, des émotions.
Quelle est la place des femmes ? Quels que soient les bouleversements sociaux au cours des siècles, il y a toujours eu des femmes pour créer des œuvres. Aucune société ou dictature misogynes n’a réussi à empêcher totalement la sensibilité artistique féminine de s’exprimer.
Il est intéressant de constater que les créatrices s’expriment plus librement dans les sociétés qui sont en plein essor économique. Lorsque des crises économiques ou politiques se répandent, lorsque l’idéal devient le combattant et que la violence reprend le dessus, seules quelques femmes instruites des classes aisées arrivent à poursuivre leur activité et souvent sans rentrer dans un cadre professionnel.
Qui a créé, sur quel support, avec quelle matière, et dans quel style ? Avant la Renaissance, les œuvres sont rarement signées.
L’art apparaît dans la préhistoire il y a près de 40 000 ans. Il est visible dans des grottes profondes qui ont permis aux peintures et gravures de survivre à l’abri des intempéries. Ultérieurement les poteries vont servir de support aux artistes. Lorsque les cités État se constituent, puis les royaumes et les empires, la plus grande partie des œuvres vont se trouver dans le mobilier funéraire et les tombeaux. Il y a également une importante statuaire des dieux et déesses. Aucun nom d’artiste aussi bien homme que femme n’est connu de ces époques.
Les premiers noms féminins apparaissent dans la Grèce antique, mais nous n’avons plus d’œuvres qui puissent leur être attribuées, ce sont trois peintres : Amaxandra, Irène, Timarete et une sculptrice Callirrhoe.
Après les temps obscurs du haut Moyen-Age arrive un essor économique sans précédent au XIIe siècle où les femmes peuvent exercer pratiquement tous les métiers. En art plastique : enluminure, sculpture, quelques noms apparaissent au XIVe siècle, mais il est difficile de leur reconnaître une œuvre propre puisqu’à cette époque les artistes ne signent pas leurs œuvres qui sont du domaine sacré pour la plupart. Les femmes comme les hommes sont intégrées dans les corporations nées au XIIe siècle où l’anonymat est la règle. Voici quelques noms retrouvés il y a peu : la peintre Espagnole Teresa Dieç, les enlumineuses Françaises Bourgot et Jeanne de Montbaston, la sculptrice Alsacienne Sabine de Pierrefonds, le peintre Allemande Sibilla von Bondorf.
Le XVIe siècle avec La Renaissance voit l’arrivée de l’art profane où les puissants cherchent des créateurs pour vanter leur mérite et leur situation sociale. Les artistes commencent à signer leurs œuvres, ils sortent des corporations et créent leurs propres écoles sous forme d’entreprises. Malheureusement au cours de cette période, des guerres civiles dites de religion ensanglantent l’Europe et une persécution de femmes de petite condition s’installe sous le nom de «chasse aux sorcières». Comme toujours dans les périodes de troubles les possibilités pour des femmes de créer s’amenuisent à l’extrême et elles ne participent pas ou peu à cet art profane nouveau. Une exception existe, les États italiens qui échappent à ces persécutions et nous connaissons de nombreuses artistes italiennes de cette période : Catherine de Vigri, Andriola de Barrachis, Properzia de Rossi, Plautilla Nelli, Sofonisba Anguissola, Diana Scultori, Lavinia Fontana, Barbara Longhi, Marietta Robusti dite La Tintorette, Fede Galizia, Artemisia Gentileschi.
À partir du milieu du XVIIe siècle, de nombreuses artistes professionnelles recommencent à exercer dans l’ensemble de l’Europe. En France, alors que l’Académie française refuse l’accès aux femmes, l’Académie Royale de Peinture et Sculpture fondée à la même époque leur permet l’entrée, il est vrai avec réticence. Quinze femmes seront académiciennes : Catherine Girardon, Geneviève et Madeleine Boulogne, Élisabeth-Sophie Cheron, Anne-Renée Stresor, Dorothée Masse, Catherine Perrot, Marie-Thérèse Reboul, Anne Vallayer-Coster, Marie-Suzanne Roslin, Rosalba Carriera, Margareta Havermann, Anna Dorothea Therbusch, Adélaïde Labille-Guiard et Élisabeth Vigée-Lebrun.
A l’orée du XIXe siècle, pendant la Révolution française puis l’Empire, les guerres vont se succéder et ravager en partie une Europe en mutation sociale. En France, les femmes sont exclues de l’enseignement officiel de l’art. En août 1793, la Convention dissout l’Académie royale de Peinture et sculpture. Elle est remplacée en 1803 par une école qui porte le nom d’Académie des Beaux-Arts, les femmes y sont interdites et il faudra attendre 1897 pour qu’elles puissent à nouveau être admises.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, pour pallier à cette absence de cours pour les femmes, le peintre Rodolphe Julian fonde, en 1867, une école de peinture et sculpture privée à Paris connu sous le nom d’Académie Julian. À son décès c’est son épouse la peintre Amélie Beaury-Saurel, militante féministe qui la dirige. Cette Académie accepte les femmes , la plupart des grandes artistes féminines de la fin du XIXe et du début du XXe siècle sortiront de cette école.
Le nouveau Code civil de 1804 impose aux femmes l’accord de leur père ou époux pour pouvoir travailler et certaines cessent d’exercer sur injonction de leur tuteur. Les carrières artistiques féminines s’amenuisent à l’extrême, les commandes sont absentes, cela ne permet plus à des artistes de vivre de leur art. Dans la première moitié de ce siècle, les œuvres produites par des femmes sont mineures, anecdotiques, la pression sociale est trop forte pour créer en toute sérénité. La seconde moitié de ce siècle voit réapparaitre des femmes artistes de premier plan, mais elles appartiennent pratiquement toutes aux classes aisées qui peuvent vivre sans les commandes.
Trois sœurs cessent d’exposer dans les salons en signe de protestation après le couronnement de Napoléon.
- Marie-Victoire Lemoine (1754-1820) - peintre néoclassique
- Marie-Élisabeth Lemoine (1755-1812) épouse Gabiou – peintre néoclassique.
- Marie-Denise Lemoine (1774-1821) épouse Villers dite « Nisa » - peintre néoclassique
- Félicie de Faveau (1799-1886) – sculptrice
Certaines cessent de travailler comme professionnelle par absence de commandes
- Marie Geneviève Bouliard (1763-1825) peintre portraitiste
- Julie Charpentier (1770-1845) sculptrice romantique
- Constance Mayer (1778-1821) peintre romantique
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, des sculptrices transforment leur nom pour pouvoir obtenir des commandes publiques.
- Hélène Berteaux née Pilate (1825-1909) dite «Léon Bertaux». Sculptrice
- Marie-Noémie Cadiot (1828-1888) dite «Claude Vignon». Sculptrice
Au cours de leur carrière, des artistes cessent de travailler sur injonction de leur époux.
- Rose Adélaïde Ducreux (1761-1802) - Portraitiste
- Marie-Guillemine Benoist (1768-1826) née de Laville-Leroux – peintre néoclassique.
- Marie Bracquemond née Quivoron (1841-1916) peintre impressionniste
- Edma Morisot (1839-1921) peintre paysagiste
Des artistes s’effacent volontairement devant leur époux ou compagne
- Sophie Rude née Frémiet (1797-1867) peintre romantique, épouse de François Rude
- Madeleine Zillhardt (1863-1950) peintre sur porcelaine, compagne de Louise Catherine Breslau
Des artistes, soit trop pauvre, soit trop novatrice sont rejetée par la société et finissent à l’asile.
- Séraphine Louis dite «Séraphine de Senlis» (1864-1942) peintre «art naïf»
- Camille Claudel (1864-1943) sculptrice
- Marie d’Orléans (1813-1839) sculptrice romantique
- Eva Gonzales (1849-1883) peintre impressionniste
- Marie Bashkirtseff (1858-1884) peintre réaliste
En cette fin de siècle, la reconnaissance arrive et quelques artistes féminines vont être décorées de la Légion d’honneur. Elles appartiennent toutes à la bourgeoisie aisée et elles restent dans le bon ton artistique de l’époque pour les femmes : des portraits, des scènes familiales intimes, des maternités, des nus féminins pudiques, des scènes animalières, pas de nus masculins, pas de scènes guerrières, peu de scènes antiques …
En voici la liste :
- Rosa Bonheur (1822-1899) Peintre et sculptrice animalière. Elle est la première femme artiste à être décorée de la Légion d’honneur en 1865, décoration remise par l’impératrice Eugénie. Elle devient aussi la première femme à être Officier de la Légion d’honneur en 1894.
- Virginie Demont née Breton (1859-1935) Peintre naturaliste, elle est décorée de la Légion d’honneur en 1894.
- Louise Catherine Breslau (1856-1927) allemande naturalisée suisse. Peintre portraitiste, elle est la première étrangère à être décorée de la Légion d’honneur en 1902.
- Mary Cassatt (1844-1926) américaine vivant en France. Peintre impressionniste, elle est la deuxième étrangère à recevoir la Légion d’honneur en 1904.
- Madeleine Lemaire née Coll (1845-1928) Elle peint à l’huile et à l’aquarelle. Elle obtient la Légion d’honneur en 1906.
- Louise Abbema (1853-1927) Elle peint surtout les portraits des personnes de la haute société. Elle reçoit la Légion d’honneur en 1906.
PREFIGURATIONS est aussi une association evryenne.
ICI