Directeur du Théâtre de l’Agora, scène nationale d’Évry et de l’Essonne, il a aussi créé et dirigé le festival Excentrique et Culture O Centre – ateliers de développement culturel, autour de projets artistiques et culturels de territoire, le lien avec un territoire semble sa marque. Il revient sur cette idée de projets situés.
Entretien avec Franck Senaud. Novembre 2017
FS
Ton parcours professionnel t'a amené dans des situations humaines, géographiques et d’histoires culturelles assez variées finalement. est-ce la diversité de ton expérience de travail qui t'a amené autour de cette idée de projet situé ou le travail de réflexion en groupe a posteriori ?
CBE
les deux, mon capitaine ! j’ai réfléchi et éprouvé ce concept dans diverses situations professionnelles et l’ai aussi réfléchi au sein de l’Institut de Coopération pour la Culture. De projet de territoire et de population jusqu’à projet situé.
La co-construction et le participatif ont envahi le langage courant, les pratiques professionnelles ou militantes. Au-delà d'un effet de mode, se joue en profondeur une évolution dans la conduite de projets se développant sur les territoires.
FS
Quels principes y développes-tu ?
CBE
Depuis 2013, le projet du Théâtre de l’Agora, scène nationale d’Evry et de l’Essonne, se développe en s’appuyant sur les caractéristiques d’une agglomération essentiellement constituée d’une Ville Nouvelle (Evry) et de grands ensembles (Grigny, Corbeil…) emblématiques des utopies urbaines des années 70. Afin d’aborder pleinement ce contexte, nous tentons en permanence de l’objectiver, sans jugement de valeurs, afin de mieux décliner des actions adaptées : programmation de spectacles, projets culturels, ateliers artistiques… Ces projets s’inventent et s’écrivent avec les habitants et les artistes, sur le mode « jeu à plusieurs mains », selon une triangulation contextuelle : habitants, opérateur, artistes. Il ne s’agit pas de se substituer à l’acte de création de l’artiste ou d’interpréter les pensées des habitants, mais de produire les conditions d’un échange permettant à l’histoire de s’inventer ; par l’attention et l’implication réciproques.
En mettant en valeur l’engagement d’une diversité d’acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet, ces protocoles illustrent le principe actif de ce que doit être la co-construction : démarches non descendantes, se départissant des conventions culturelles habituelles.
Ce sont donc des œuvres artistiquement et socialement pertinentes qui fondent le projet culturel dans son contexte, supposant de raisonner en termes de (re ?)constitution d’un creuset commun.
C’est la réalisation pleine de cette démarche, équitable et réciproque, entre projet artistique et contexte qui en fait des projets situés.
FS
Et comment le "situes"-tu à Evry?
CBE
Ainsi, la population de l’agglomération évryenne relève d’origines culturelles diverses et métissées : une attention y est portée afin que la programmation traduise des diversités en écho avec la population locale. Sachant que le champ du spectacle vivant présente un réel déficit en la matière, il convient d’éviter les écueils de l’amalgame (cultures du monde) et de la stigmatisation (cultures urbaines). Ce sont aussi des territoires pauvres, dont la prise en compte les réalités économiques dégradées de nombreux quartiers a conduit la scène nationale à des choix forts de billetterie ou conditions tarifaires, afin de limiter au maximum les freins budgétaires (plein tarif 2017 à 11€). Enfin la pour des populations éloignées des formes de culture institutionnelle, les programmations de proximité ou des projets impliquant des habitants permettent une approche plus apaisée à l’art. Ces protocoles jouent comme révélateur poétique ou ludique du quotidien de la cité. En ces matières, les qualités artistiques importent autant que celles de dialogue et de disponibilité auprès des habitants rencontrés.
Enfin la moyenne d’âge du territoire évryen, inférieure à 30 ans, est loin des 40 ans de la moyenne nationale. La question de la jeunesse est un enjeu central de tout projet local. En quatre ans, la proposition de spectacles, dits « jeune public » a été doublée, avec un taux de remplissage supérieur à 90 %. Cette réflexion sur la jeunesse ne se limite pas au jeune public, elle prend aussi en compte la population adolescente soit en termes de programmation : cultures urbaines, musique, arts et sports… ; soit en termes de dispositifs d’accueil des collégiens et lycéens. Enfin, l’attention portée à l’accueil des jeunes parents est un sujet de vigilance.
PREFIGURATIONS est aussi une association evryenne.
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