Morgane LELUC jeune chercheuse a étudié les origines du graffiti en France: le terrain vague de la chapelle.
Comment étudie-t-on un lieu mythique entre vrai et vraisemblable ? Et que peut-on savoir sur un art alors (encore ?) à venir ?
Entretien avec Franck Senaud. Janvier 2016
FS: Comment procède-t-on pour écrire sur cette mémoire du graffiti ?
ML: Il faut commencer par reprendre tout ce que l’on a pu trouver dans les écrits, même une toute petite suggestion ou une vague évocation, concernant le sujet. C’est à ce moment que tu te félicites des notes que tu as prises, même en pensant qu’elle ne te serviraient jamais.
Puis définir les bornes spatio-temporelles : prendre plus larges, pour parvenir à saisir le contexte d’émergence et les éventuelles influence postérieures au sujet.
Ça, c’est le plus simple : il suffit d’avoir assez de temps devant toi pour essayer de n’oublier aucun ouvrage.
Puis plus tu trouves d’infos, plus des questions se posent. C’est le principe de la recherche, je pense : en cherchant des informations ou des réponses à une question, tu en fait émerger 10 de plus. De celles-ci en découlent 10 encore, etc. Arrive donc un moment (frustrant) où tu dois te contraindre à restreindre les points que tu vas creuser. C’est aussi le moment où tu axes ta réflexion, et où ton travail devient personnel : par exemple, j’ai choisi de l’axer pas mal sur des réflexions sociologiques, ça aurait pu tout aussi bien être sur l’économie ou l’historiographie, ou sur une analyse formaliste pure, ou uniquement replacer des faits historiques
FS:
Faire la part de la légende et du réel ?
ML:
Je ne pense pas qu’il soit possible, concrètement, de faire la part des deux.
Tu as deux type de sources de premières main, sur lesquelles t’appuyer pour baser et étayer tes théories, ce sont les infos tangibles (dates, photos, documents administratifs) et les entretiens que tu as eu la chance de réaliser avec les acteurs. Si le premier point est irréfutable, le second l’est toujours, puisque l’on parle d’un souvenir personnel et d’un ressentis de la part des acteurs. Il faut donc comparer les témoignages, pour voir les points communs, et ceux sur lesquels se basent les désaccords: là c’est intéressant, car ces désaccords sont souvent le reflets d’une volonté de mythification d’un évènement ou d’un personnage, et c’est donc parlant sur plein de choses. Là encore, si tu creuses, tu trouve matière à réflexion.
Mais de toute manière, cette légende participe à la compréhension du sujet: quand bien même l’Histoire a-t-elle été embellie, on comprend que c’est parce que le terrain a réellement une importance fondamentale dans l’histoire du graffiti français et européen.
Par cette mythification, les acteurs assoient la place que le terrain a occupé dans l’histoire du graff, puisqu’il ne peuvent ou ne veulent pas le faire par des moyens plus traditionnels (comme l’écriture d’un bouquin, par ex.
FS:
Est-ce que le terrain existe toujours ?
ML:
Le terrain n’existe plus, c’est aujourd’hui un centre de tri postal qui occupe la place. Il a été progressivement abandonné à partir de 1988-1989, suite au départ de plusieurs figures phare du terrain, de l’arrivée d’un public de moins en moins initié, de différents heurts internes aux habitués, et des descentes de flics de plus en plus régulières. Puis vers le milieu des années 1990, le centre a été construit.
FS:
Sur quels documents t'appuies-tu ?
ML:
Tous les documents que j’ai utilisés sont dans mes annexes : ma bibliographie et filmographie (qui contrairement à ce que l’on peut croire, représente facilement la moitié du travail de recherche, car les bouquins sont introuvables en bibliothèques publiques, excessivement chers, ou simplement en tirages limités et dans des collections particulières). J’ai écumé les archives photographiques, sans grand résultats. Sinon, ce sont des témoignages (très peu comme tu as peu le voir, mais ils ont été très généreux en infos, et surtout j’en parlais beaucoup avec Mathieu et Fred (Sowat et Lek). Fred habitait juste à côté, et les deux connaissent l’histoire du terrain, ou au moins une partie, et en tout cas son mythe, et m’ont beaucoup aidé sur certains points que je trouvais bancals).
Si j’avais eu plus de temps (en 8 mois c’est compliqué de tout regarder), j’aurais surement orienté mes recherches vers les différentes sources journalistiques et surtout, surtout, celles de la police.
A SUIVRE
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