Jean Luc HERBULOT filme un Paris que le cinéma ne montre guère. Couleur, rythme, personnages et.. la ville.
Un auteur qui pense en actes, un réalisateur et un vrai univers.
Entretien avec Franck Senaud. Septembre 2015
FS:
Ça a commencé quand cette aventure de Dealer ?
JLH:
été 2012, en vacances avec Dan le comédien principal. On a commencé à parler cinéma, visions du futur, et je lui ai parlé de ce projet que j'avais en tête depuis plusieurs années: d'un mec qui court pour sa vie dans un film où l'urgence serait le principal moteur. Quelque chose dans la veine de Cours Lola Cours. Cette énergie là. Il m'a parlé de sa vie, son passé, ses erreurs et c'est de là que l'idée de DEALER a germé dans son intégralité.
J'ai écris une trentaine de page qui était l'acte 1 et je bloquais. Je n'avais jamais écris de scénario de long auparavant, je n'avais pas encore "l'hygiène" nécessaire. C'est à ce moment que j'ai rencontré Samy Baaroun, mon futur co-scénariste et le scénario de DEALER fut complet 1 mois après.
Dan a décidé de produire le film et 1 an plus tard le film était fini.
FS:
Samy Baaroun nous expliquait qu'il y avait dans "ta commande" des scènes clés, pourquoi cette idée/nécessité ? était-ce visuel, lié aux décors ? Lié au rythme ?
JLH:
C'était lié à des choses inhérentes aux genres du film urbain. les boîtes de nuits, les braquages, les personnages secondaires qui sont de passage mais qui aident le héros etc... il y a plusieurs raisons à tout ça. Premièrement les lieux, les événements et les actions sont liés aux personnages que Dan rencontrent sur son chemin. Ces éléments définissent les personnages secondaires et leur donne une légitimité et une "palpabilité". C'était essentiel pour moi, dans le sens où je savais que DEALER 2 et DEALER 3 feraient appel aux personnages secondaires pour en faire des personnages principaux, d'où l'idée de ramener des ambiances, des sous-intrigues et surtout souligner des personnalités bien différentes de celle de Dan mais en restant homogène à sa quête. J'utilise bien le mot quête pour le deuxième point qui est : DEALER est un conte noir.
DAN est comme le petit poucet qui doit retrouver son chemin jusqu'à atteindre son but. Dans sa quête au bout de la nuit, il va rencontrer plusieurs personnes qui lui fourniront les clés pour
avancer et chaque lieu est un donjon a part entière. C'est comme ça que je voulais la progression du personnage et la narration du film, étape par étape, donjon après donjon. le mariage de tout
ceci vous l'aurez deviné, lie tout le reste : le rythme, le visuel, la course effrénée de Dan pour trouver le pognon.
FS:
Est-ce que tu savais dès le début dans quelle ville/quartier/décors tu tournerais ? Est-ce que ça faisait partie de tes premières visions ?
JLH:
Paris. c'était le décor de base. je me suis longtemps et beaucoup baladé dans Paris la nuit. je trouve cette ville bien plus intéressante et vivante la nuit et ma toute première vision de DEALER était ce mec en Veste rouge CCCP avec une kalash a la main.
Je ne voulais pas faire le énième film urbain qui parle de banlieue avec le noir, l'arabe en petit dealer survêt a capuche et mobylette. Je voulais que DEALER transpire la crasse parisienne et traite de la voyoucratie a la petite semaine, ce que le cinéma français ne sait pas ou plus faire. Paris ce n'est pas que les Champs Elysées, le 16eme, Chatelet ou je ne sais quoi d'autres. il y a une face sombre de Paris et je compte bien la mettre en lumière sur la trilogie a venir.
FS:
tu indiques aussi cette idée, dès le début, d'une"tension visuelle" du rouge, très présente ?
JLH:
oui. le choix du rouge n'est évidemment pas un hasard. La première raison était que je voulais iconiser le personnage à l'extrême. On fait très peu ça, j'ai l'impression en France, mais, pour mo,i un "héros" c'est une icône, on le reconnaît tout de suite, cela fait partie à mon sens de mon job de metteur en scène. Je voulais que Dan soit une espèce de figure pop qu'on pourrait avoir en figurine près de son ordinateur.
La deuxième raison c'est qu'il fallait une couleur qui représente le piège et l'environnement dans lequel le personnage est retenu prisonnier. Dan est condamné à ne pas quitter la rue, c'est une toile d'araignée qu'il a tissé lui même et dont il ne peut se départir (cf son tatouage dans le dos pour les plus attentifs). donc si vous étudiez attentivement l'introduction et la conclusion du film vous verrez que sa veste rouge n'est pas seulement esthétique. Il parle de son milieu et du mode d'emploi de la rue en introduction et, une fois cela terminé, le tout fond sur sa veste rouge.
Une fois que Dan enfile cette veste il devient un autre (cf la première fois qu'il l'enfile dans son appartement), une fois qu'il la retire, il devient un autre (cf des moments clés du film). donc ce choix est purement assumé et lié à la mise en scène et caractère du personnage. le noir et blanc avec sa veste qui reste rouge flamboyante est encore une fois un indice sur le "comment", cette veste influe sur son comportement, c'est sa cape de superman.
Enfin, le CCCP était un choix plutôt ironique dans le sens où voir un mec courir après du pognon pendant 24h avec une veste de coco rouge et une kalachnikov (l'arme des révolutionnaire dira-t'on) c'était plutôt caustique.
FS:
Donc là encore, dans la couleur, le costume, l'apparence, ce personnage est lié à son espace autour, à son décor. Avais-tu des endroits de Paris précis en tête dès l'écriture ?
JLH:
Non pas vraiment. Je savais que la majorité du film devait se passer dans le 18, 19ème ensuite, on est allé chercher ailleurs d'autres lieux propices à caractériser les différents personnages.
FS:
tu te sers des lieux pour "parler" des personnages. Ca te vient du genre que tu filmes cette idée ? Ou d'expériences de courts, clips auparavant ?
JLH:
C'est de la mise en scène de base à mes yeux. Un personnage est caractérisé par le décor qu'il habite et inversement. C'est une sorte de repère visio-thématico-temporel pour le spectateur. Ca empêche d'avoir à dire qui iĺ est, pourquoi, comment etc...
Maintenant ce qui est compliqué sur un film sans budget comme Dealer c'est de raconter des personnages et des décors avec très peu de moyen. c'est casse gueule et dangereux.
FS:
En quoi ?
JLH:
Dans le sens où il vaut mieux rester sobre quand on a rien à mettre sur l'écran plutôt qu'essayer à tout prix d'habiller un décor et de perdre de l'énergie dans des choses dont il faut savoir tirer profit.
Dans un film guérilla, chaque problème et ce qu'il engendre doit être transformé en carburant créatif. Sinon vous êtes morts.
FS:
Tu avais dès le début une durée en tête ? Un plan de tournage ou ça s'est fait part bouffées ?
JLH:
oui, pour la durée je voulais faire un film d'1h20 max. L'idée était que ça aille vite et fort et que ça reste en tête plusieurs heures/jours après, comme une droite en plein visage.
Après ça chaque film est comme une baleine, chaque jour une bouchée, a chaque jour son lot de problèmes a résoudre.
PREFIGURATIONS est aussi une association evryenne.
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