BAROUN. Dealer. Entretien.

 

Sammy BAROUN co-signe avec Jean Luc HERBULOT le scénario d'un film puissant, rythmé, urbain, tendu.

Il décortique avec nous les conditions d'une telle écriture et la part d'écrit dans les images. Un auteur qui pense avec rythme.

 

 

Entretien avec Franck Senaud. Septembre 2015



Franck Senaud

comment as tu rencontré Jean Luc et cette histoire ?

 

Samy Baroun

J'ai rencontré Jean Luc dans une soirée par l'intermédiaire d' un ami en commun, Salem Kali, qui joue dans le film. On a discuté et il m'a dit qu'il avait un projet de film, une histoire qu'il avait en tête depuis un an. Il avait rédigé une vingtaine de pages mais bloquait. Quand il m'a dit qu'il cherchait un scénariste pour co-écrire le script, je me suis proposé. Il m'a envoyé son début de scénario, je l'ai réécrit, ça lui a plu et il m'a proposé de travailler avec lui.


FS

vous travailliez en aller retour ? morceau par morceau ou sur l'ensemble ?


SB

Oui en aller-retour, un ping pong sur l'ensemble. On travaille le fil narratif et une fois qu'on est d'accord, je rédige une version dialoguée de 75 pages environ, je lui envoie, il en fait une version d'une centaine de page qu'on transforme dans ces aller retour jusqu'à ce qu'on ait une version définitive qui nous convienne a tous les deux.

FS

Quelle était la trame dès le début ? Etait-elle localisée ?


SB

Oui le film devait se dérouler dans Paris intra muros dans sa majorité. On voulait sortir de la représentation qui dominait ces derniers temps, c'est à dire une dialectique Banlieue pauvre/Paris riche alors qu'en réalité Neuilly-sur-Seine ou La Varenne sont bien plus bourgeois que le XIIIème arrondissement. Ma volonté dans le script était donc de renoué avec une tradition où différents milieux se rencontraient, j'ai voulu renouer avec le Paris des chroniques de Pacadis où l'ouvrier passait ses nuits au Palace avec la dernière chanteuse à la mode ou les romans de Balzac qui montraient les parvenus accédés aux salons du Boulevard saint-germain, c'est à dire ce brassage social particulier à Paris.

Dans le film on passe d'une communauté à une autre, d'un milieu à un autre, il fallait garder un cachet parisien qui donnerait son unité à l'ensemble.

La trame était assez simple, un dealer dans Paris qui court parce qu'il doit de l'argent. C'étaient les premières pages rédigés par Jean-Luc. Ensuite il m'a donné un genre de cahier des charges pour le reste du script : une scène dans une boîte de nuit, des gitans avec des armes, des barbus, une scène ultra-violente. J'avais les ingrédients, restait à trouver la recette.

FS

Comment les lieux se sont-ils imposés ? Et comment les lieux de tournage ont-ils été choisi ? Tu n'as déjà plus "affaire" avec ce 2e point ?


SB

Pour le choix des lieux, il s'agit du travail de Jean-Luc, le scénario est voué à être détruit pour laisser place à l'image. Le réalisateur, comme son nom l'indique, change un idéal sur papier en réel sur pellicule, ou disque dur aujourd'hui.


Pour l'écriture, les lieux ne se sentent pas, ils s'imposent d'eux mêmes. Le personnage est lié à son environnement, et l'un conditionne l'autre.

Chez Chateaubriand le sujet romantique est dans un paysage romantique, le château de Combourg, ses brumes ou sa chambre rouge comme chez Céline, le poids insupportable du réel et le nihilisme qui en découle est autant chez Bardamu que dans les tranchées de la guerre de 14, les usines Ford ou la misère de Clichy. Je crois que les personnages s'imposent d'eux même avec leur décor, c'est un tout. Dealer est un film sur le nihilisme contemporain, où la vitesse n'est qu'une impression chez un sujet incapable de tout mouvement, un sujet qui se repli sur lui-même parce qu'il est trop épuisé pour se dépasser.

Alors le héros navigue d'un appartement du XVIIIème arrondissement à une cave d'un restaurant africain, d'une boite de nuit à un camp de gitan, dans une course où il ne fait que du sur place.


FS

oui mais ta remarque sur ce lien Paris-banlieue, sur une autre image possible de ce lien, laisse à penser que tous les décors ne pouvaient être choisis D'ailleurs, plus globalement, ce ne pouvait être qu'un film urbain non ?


SB

Oui et non : ils ne pouvaient être choisis dans le sen où c'est Paris, mais ils devaient être choisis dans le sens où ce n'était pas le Paris carte postale ou Amélie Poulain, donc c'était un Paris a recréer parce qu'on avait pas les référents dans des films précédents.

Et oui, ça ne pouvait être qu'un film urbain, dans sa conception la ville était déjà un personnage à part entière. Dans la manière de l'appréhender et dans la relation que chacun des personnages à avec elle et qui conditionne ce personnage, ce qu'on a déjà dans Balzac.

Un des personnages dit "on est en train de grimper, on sera les princes de la ville", lui est dans une conquête à la Rastignac, tandis que Dan le héros a peur de ce Paris et veut la fuir comme Rubempré qui retourne à Angoulême fuyant Paris. Delo le trafiquant de drogue est comme un parasite qui se nourrit de la face sombre de la ville et les gitans prennent Paris pour un terrain de jeu, une nature immuable où règne la loi du plus fort donc Paris est la même tout en étant différente selon les perspectives.

Identité et différence, on sait que c'est la même chose, l'un ne va pas sans l'autre, bien qu'on ait tendance de nos jours à les fixer dans leur opposition. Mais Descartes et son bout de cire nous montre bien que l'identité c'est ce qui comprend la différence...


FS

En tant que spectateur d'un film que tu as écris, tu reconnais tes décors ? Surpris parfois ?


SB

Les décors je les reconnais mais ce qui est plutôt surprenant c'est la mise en scène, c'est la façon dont les acteurs interprètent leur personnages et les ornements de ces décors (bibelots, posters,...) mais c'est surtout l'espace : quand on écrit, l'espace d'une scène ou d'une séquence est immédiatement une totalité mais à l'image cette totalité est décomposée qu'il s'agisse de la façon dont il est occupé par les acteurs, du cadrage et d montage, de l'ombre et de la lumière.

Cette représentation de l'espace par l'image est d'abord une négation de la représentation de l'espace par le texte est en ça, c'est une véritable découverte pour moi


FS

Et la couleur ? Qui joue un vrai rôle ?


SB

oui la couleur rouge est la couleur référente du film. Un peu à la manière des dernières toiles du Caravage où il substitue aux fonds sombres de ces toiles un fond rouge qui renforce l'effet dramatique, je pense la décollation de saint Jean Baptiste, l'enterrement de Ste Lucie ou l'adoration des bergers. Mais sur le choix de la couleur Jean-Luc serait plus apte à en parler que moi