FS : On pourrait penser aussi qu'on veut avoir l'air nouveau : il y a une idéologie du nouveau.

Pierre Rosentiehl : Ce n'est pas vrai dans l'attitude de très bons mathématiciens. Récemment on voit le livre de Cédric Villani qui raconte un peu sa vie et comment il arrive au théorème qui lui a valu une grande médaille. On voit bien tout de même qu'il fait appel à tel et tel texte, tel auteur, tel Ancien. Il monte sur leurs épaules. Mais au fond, il parle d'outils qu'il utilise, qui ne viennent pas de très loin.

Moi ce que j'ai voulu dire c'est qu'il y a des choses qui couvent depuis très longtemps. Nul ne contestera que dans cette idée des Crétois, il y a quelque chose de très réussi, comme l'invention de l'angle droit.

FS : Ce que tu dis a une signification profonde. Si les Hommes à la fois passent leur temps à réinventer les choses, il y a quelque chose de pessimiste.

En même temps s'ils arrivent à retrouver quelque chose de génial et qui était perdu, c'est tout à fait optimiste. Il y a une espèce de fil justement entre eux et nous.

Pierre Rosentiehl : C'est ce que dit Levi Strauss. Tu peux avoir des civilisations, une ethnie assez isolées. Mais ces femmes qui peignent sur le visage des labyrinthes, si vraiment elles ont peint le graffiti crétois c'est absolument bouleversant. Lévi-Strauss a recopié çà.

FS : Qu'est ce qui est bouleversant ? Que quelqu'un à l'autre du monde, qui n'ait jamais entendu parlé des Minoens, retrouve le même graffiti ?

Pierre Rosentiehl : Oui c'est l'esprit humain qui fait cela.

FS : C'est être confronté au même problème humain que de trouver une boucle qui se ferme, qui s'ouvre, et les solutions finissent par être insérées ?

Pierre Rosentiehl : Oui c'est çà, et à force d'en faire, il y a des solutions qui portent plus de sens.

ROSENSTHIEL. Entretien 6. FABRIQUER DU HASARD