Episode 3. Pourquoi Mimi Cracra est toujours de profil ? Pourquoi parle-t-elle beaucoup ? Et en couleurs ? Agnès ROSENSTIEHL sa créatrice, nous éclaire.
FS :
On sent votre goût pour le travail sur la langage, le lien à la musique. Vos petits personnages remuent beaucoup. Ils ont l’air toujours d’être en train de danser.
Vous parlez du langage comme d'une musique, dans votre graphie, vos titres, ici il y a quelque chose d’assez musical.
AR : Je m’intéresse à la forme. J’ai écrit certains textes de livres aussi.
« L’alphabet fait des histoires » par exemple, m’a été suggéré par Perec, qui était venu, ici-même, à la sortie de « L’alphabet fou ».
Il est venu dire « oh j’aurais tellement voulu écrire ce livre ! », j’étais « waaaw » !
On m’aurait décoré de la légion d’honneur ça m’aurait moins fait plaisir hein !
FS : de quoi parlait le livre ?
AR : « L’alphabet fou » c’est des turn-twister. Il avait adoré et, en partant, il me dit : cette fille-là elle les mène, L N M … il y a un morceau d’alphabet, vous devriez en faire un entier ! Et je me pique au jeu, rien que parce que Perec me l’a dit ! Et j’ai fait un livre qui raconte une histoire telle que dans les bulles on voit « ah, baie, céder, euuuh », etc.
Le texte expliquait, mais c’était un truc de grave quoi. Il y avait un aspect hiatus incroyable entre le dessin illustré et ma démarche sophistiquée, les gens ne comprenaient pas (rires).
FS : Pourquoi dans ces cas-là ce n’est pas vous qui dessinez ? Pour le plaisir de collaborer ?
AR : Non d’abord parce que Pierre, mon fils, sait utiliser un style bd que j’adore. Puis il sait faire des adultes, alors que moi les adultes, c’est ma catastrophe.
J’en ai déduis que j’en suis restée mentalement, ou plutôt psychanalytiquement à l’âge de 4 ans, bien que je sois capable de tenir des discours plus sophistiqués que ça.…
FS : Vous voulez dire vous avez essayé de faire des dessins d’adultes et ils ne vous satisfont pas ?
AR : ils ont l’air d’être des enfants à qui j’ai mis une moustache quoi… C’est une affaire de proportion, j’ai tiré sur les jambes, j’y suis arrivé, mais les visages sont toujours un peu poupins.
FS : Dans votre petite encyclopédie sur les prénoms vous jouez avec la graphie. Et dans les Mimi Cracra eux-mêmes, il y a un jeu entre ce qui a dans la bulle, la typo et le graphisme qui s’imbrique.
AR : Oui, pour moi le texte fait partie du dessin .
FS : D’où ça vous vient ?
AR : c’est ma déclaration d’amour officielle au dessin égyptien (rires). Le profil, j’ai adoré ça quand j’étais enfant!
La 1ère fois que j’ai vu des trucs au Louvre, avec des dessins de profil et tout, j’ai trouvé ça plus beau que tout, j’ai a-do-ré ça, je ne sais pas pourquoi.
FS : La facilité de lecture ou l’espèce d’aplat comme chez Gauguin?
AR : Le mélange, le sens donné par le dessin c’est une invention du hiéroglyphe.
On voit, ils ramassent, ils coupent…C’était comme une bande dessinée muette, où le texte était à peine nécessaire et on pouvait tout dire avec le dessin. D’une part, le profil c’est du trait et non pas de la peinture. Ce n’est pas : si vous savez écrire vous savez dessiner, mais si vous savez dessiner, vous écrivez de fait.
Quand on dessine on écrit, et par le trait, parce que les égyptiens c’est quand même du trait rempli, c’est la première ligne claire au monde, on dit énormément avec ce trait, c’est presque la naissance de l’écriture, c’est comme ça qu’au début on a fait un bœuf, pour faire un A.
FS : Et déjà cette découverte c’est au Louvre ou dans les livres de la bibliothèque aussi ?
AR : J’ai fait comme tout le monde, Egypte en 6ème, pendant 2 mois! Et les grecs derrière. Qui ont un sens du trait aussi, profil, etc. Mais surtout l’Egypte parce qu’ils avaient stylisé, qu’ils ne traçaient pas d’après nature.
FS : un dessin codifié vous voulez dire ?
AR : voilà !
Et qui était tout voisin du cran d’après, c’est ça qui veut dire je marche. Juste après c’est ça quoi, même un hiéroglyphe comme cette couverture de Mimicracra dit:je me chauffe, c'est presque redondant pour moi. Elle le dit par le dessin.
A SUIVRE. LA COULEUR
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