F.S :Il me semble aussi, ce vers quoi je voulais aller doucement, vous dîtes “je déteste la tyrannie de l’intrigue surtout quand elle étouffe les personnages ” ,mais vous faîtes un glissement vers l’espace de ces personnages, » ce qui me touche chez Burk c’est sa manière de donner priorité aux sentiments, il leur permet de vivre à travers l’espace qu’il leur ménage à travers l’histoire ».
Je donnerais presque un équivalent physique à cet espace , vous souhaiteriez presque qu’il y ait de l’air pour vos personnages
B.T : Absolument , je n’aime pas du tout enfermer les gens même dans le cadre, j’aime qu’on respire dans mes plans, qu’il y ait de l’air autour des gens et j’aime aussi qu’on respire dans les intrigues, de donner l’impression que ce sont les personnages qui écrivent l’intrigue du film que ce n’est pas l’auteur, que donc les actes ne sont pas prédestinés ou ne sont pas arrangés par un technicien habile qui fabrique des coïncidences, des rebondissements pour faire que les gens soient face à face, s’ils sont face à face c’est qu’ils ont désiré être face à face, ils l’ont voulu, ils l’ont cherché et ça ça m’intéresse, ce qui arrive aux personnages c’est soit quelque chose qu’ils subissent à leur corps défendant soit quelque chose qu’ils essaient d’affronter
F.S :ce qui fait que dans votre façon de filmer-je me trompe peut-être techniquement -il y a beaucoup de caméra à l’épaule, de cameramen qui suivent les personnages
B.T : Oui, mais cela peut être à l’épaule ou sur rail, ,j’aime beaucoup suivre les gens, le mouvement que j’affectionne, c’est quand on a l’air de les suivre puis on les dépasse, j’aime beaucoup qu’un mouvement soit objectif pendant une partie et puis devienne subjectif ou soit au contraire, un mouvement est subjectif , on avance et puis tout d’un coup quelqu’un rentre dans le champ et là le mouvement devient objectif, çà j’aime énormément çà, je n’aime pas que les mouvements soient uniquement fonctionnels, soient uniquement là pour suivre ou précéder un personnage, ils sont là pour un moment, les mouvements de caméra c’est comme de la musique, ils sont là pour dilater une émotion, ou l’accélérer ou mettre l’accent sur un point de la scène
F.S : Vous suivez les personnages dans le décor .Vous le dîtes plusieurs fois dans vos textes : même si vous avez un décor magnifique,vous n’allez jamais privilégier ce décor par rapport aux personnages.
B.T : çà jamais, jamais,
F.S : c’est le personnage et son intrigue qui vont faire découvrir les personnages .
B.T :Absolument. Il y a une figure de style que je n’aime pas que d’ailleurs certains metteurs en scène avaient combattu très tôt-je pense à quelqu’un comme Julien Duvivier qui était ce qu’on appelait en américain "l’establishing shot" un plan qui va vous montrer une maison, on va vous montrer une rue, la maison, on va s’approcher on va vous montrer un appartement dans la maison, moi j’aime bien commencer à l’intérieur de l’appartement, qu’on découvre par un personnage, qu’on découvre tout cet appartement et puis qu’après on découvre la maison, que tout cela soit d’ordre dramaturgique et pas d’ordre explicatif, comme je n’utilise pas de règle absolument rigoureuse peut-être qu’on trouvera dans mes films deux ou trois moments qui peuvent être des exceptions, des fois où j’ai commencé par un plan extérieur de situation mais quand je peux m’en passer je m’en passe;
je ne vais pas indiquer : « regardez le beau château, regardez l’intérieur de ce beau château, regardez la belle pièce qu’habitent ces seigneurs », non pour ces seigneurs ,pour ces gens qui habitent là-je pense à » la Princesse de Montpensier »- c’est une pièce qu’ils ne voient plus, c’est une pièce normale, donc je ne dois pas faire attention au mobilier.
Bien sûr si je me promenais en touriste je me dirais : c’est extraordinaire ce petit divan renaissance ou cette petite commode, non, c’est une commode qui est utile parce que le personnage va s’y accouder et c’est tout, il ne faut jamais que j’ai l’air d’être épaté comme si j’étais un conservateur de musée par le décor que je suis entrain de filmer, je ne dois pas être plus épaté que les personnages, il faut que j’arrive à me trouver synchrone sur leurs sentiments, c’est comme cela d’ailleurs que l’on arrive à filmer l’histoire, vous parlez décor mais cela se trouve beaucoup dans les accessoires, ce que je trouve qui me gêne beaucoup dans les films historiques ce sont les vieilles bagnoles, les vieilles bagnoles quand les gens les filment, on a l’impression qu’ils sont vachement contents, on a l’impression qu’ils ont déniché une vieille bagnole qui colle à l’époque et donc on la filme en la mettant vraiment en valeur, moi dans « Laissez passer » par exemple, c’était une de mes hantises et quand il y avait une bagnole qui jouait un rôle, je m’arrangeais pendant une bonne partie de la scène pour qu’on ne la voit jamais entière, il y avait une Citroën, elle était là, elle était arrêtée, bon on en voyait un bout, je m’arrangeais pour qu’on ne puisse pas dire, c’est un modèle formidable et en plus elle est hyper juste, c’est un modèle de l’époque et tout ça parce que pour les gens qui sont là, ils sont tellement habitués à utiliser les Citroën, qu’ils n’y font pas attention ,ils ne pensent pas que c’est un truc de l’époque , donc il ne faut pas que je le filme comme si j’étais un collectionneur de voitures qui épate, or c’est ce que je ressens dans beaucoup de films historiques, je vois les gens exhiber leurs accessoires et les montrer avec une certaine fierté.
Si je filme un personnage qui est commisseur-priseur, oui forcément il montrera ça mais si je filme quelqu’un qui est en cavale, lui il va voir un vélo, un camion, il ne va pas regarder la marque du camion.
F.S Le décor a un rôle important mais on le voit toujours à travers le passé ou le présent d’un personnage.
B.T :Oui, et quand je le fais il parle généralement du passé ou du présent de la famille du personnage, je demande toujours au décorateur qui travaille dans le film de meubler les intérieurs avec des meubles qui sont très antérieurs à l’époque que je suis entrain de filmer, il n’y a aucune raison qu’en 1912 tous les meubles soient de 1910, dans une maison de famille vous avez des meubles qui datent de trente ou quarante ans avant, surtout à cette époque, donc je veux qu’il y ait des meubles très antérieurs à cette époque et je demande très souvent aux acteurs d’aménager le lieu.
Louis Ducreux ( acteur de Un Dimanche à la campagne) je lui ai dit : tu m’aménages ton salon, c’est le décor dans lequel tu vis, qu’on sente dans quel fauteuil tu aies envie de t’asseoir où tu passes ton temps quand le soir tu bouquines un livre et donc il travaille comme ça pendant deux jours, alors vous pouvez le faire avec des acteurs qui ont une finesse mais ça peut être aussi avec des jeunes de l’APA, les jeunes de l’APA ils avaient ainsi une pièce à meubler, je leur ai dit : vous avez trois jours , c’est vous qui meublez et accessoirisez votre scène, je veux savoir Marie Gillain quelle chaise tu utilises quand tu te déshabilles, ce que tu mets sur ta commode, si tu vas mettre des affiches qu’est-ce que tu vas mettre comme affiche au-dessus de ton lit, au-dessus de l’endroit où tu dors et puis pareil aux autres acteurs alors Olivier Sitruc avait choisi une affiche de King of New-York d’Abel Ferrarra, Marie Gillain avait choisi une affiche de Johnny Deep, c’était vachement bien ça allait très bien avec le personnage tout ça, alors voilà c’est eux qui pensent et ça permet aussi de définir le personnage sans le psychanalyser.
F.S Les décors sont très variés. Dans la brume électrique on a, l’ambiance dans la forêt, dans la maison …
B.T : Oui, là par exemple cette maison, la maison de Dave Robicheaux c’est un extraordinaire travail de la décoratrice Merideth Boswell qui a fait un formidable travail parce que cette maison- au départ c’est moi qui l’ai choisie, je les ai découverts quand j’étais à New- Iberia, et que j’ai eu le privilège d’ailleurs d’habiter chez James Lee Burke et parfois de repérer certains décors avec lui- j’ai trouvé cette maison, c’était très difficile à cadrer, on s’est arrangé pour qu’on n’ait jamais à la cadrer dans sa totalité
on en coupe toujours une partie, on ne voit jamais la partie gauche de cette maison ,on s’est arrangé pour mettre un bout d’arbre, une branche, on n’en voit en fait que la moitié, toujours quand on est de face, après elle m’embêtait parce que je trouve qu’elle était trop riche à ce moment là pour un policier et puis c’est une maison de vacances, ce n’est pas une maison de famille alors à l’intérieur, il fallait la rendre maison de famille, le jardin pouvait faire facilement parc, alors la décoratrice a eu l’idée de faire dans un coin des petits clapiers de lapin , ça casse le côté parc, ça donne l’impression qu’on a un bout de jardin devant,
il y a un bout de hangar dans lequel il y a des outils qui traînent, elle a fabriqué un petit jardin où j’ai pu faire un plan où Marie Burk est entrain de sarcler quelque chose, et puis à l’intérieur on a rajouté une bibliothèque, c’est la seule maison du film d’ailleurs dans laquelle il y a des bouquins, dans tous les autres intérieurs il n’y a jamais de livres, les gens n’ont jamais de livres chez eux, là il y a une bibliothèque très fournie , il y a des livres qui traînent partout, et puis les bouquins on a choisi les titres, il y a des auteurs importants, il y a des auteurs sudistes il y a Hemingway, Faulkner, il y a plein d’auteurs , il y a les poèmes de TS Eliott qui correspondent à Dave Robicheaux qui est un policier qui est allé à l’université.
F.S :Vous dîtes aussi que rien dans l’emplacement de la maison, dans son ameublement ne doit trahir les pulsions meurtrières du personnage.
B.T :C’est le décor qui est le plus difficile à faire, c’est un décor anonyme, c’est un décor qui ne doit pas trahir les pulsions meurtrières puisque c’est un décor qui cache tout .
F.S : Vous dîtes aussi : »le décor doit être propre, aseptisé, anonyme » et en fait il ne faut pas qu’on sente quoi que ce soit et en fait vous dîtes que c’est à la fois difficile à fabriquer
et difficile à meubler
B.T : C’est ce qu’il y a de plus dur, c’est un décor anonyme, c’est un décor qui ne doit pas trahir les pulsions internes puisque c’est un personnage qui cache tout. Alexandre Kroner qui est un décorateur avec lequel j’ai travaillé deux fois et qui était aussi un très bon peintre et qui faisait des croquis magnifiques de tous ses décors comme on a pu le voir dans ses expositions et dans les livres qui lui sont consacrés, Alexandre Kroner disait :un décorateur obtient un César si le film se passe au château de Versailles où il n’aura rien fait ou alors son travail aura été nul, or le vrai travail de décorateur ça consiste à réussir une chambre d’hôtel, si vous réussissez une chambre d’hôtel anonyme ou un appartement, le plus difficile de tous les appartements que j’aie eu à faire c’était l’appartement de Jack Lemon dans le film qui s’appelait « La garçonnière » Ça c’était très difficile pour arriver à donner une identité à un décor anonyme. Très difficile et très excitant .Faire un immense décor, ça c’est à la portée de tout le monde, tout le monde y arrive, ce n’est pas dur .
F.S : Oui, il faut que ça soit signifiant et pas trop signifiant en fait …
B.T : Oui, il faut que ce soit signifiant sans que ce soit surligné, expliqué , sans que vous ayez l’impression qu’il y ait une notice explicative dans tous les coins du décor .
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