Comment ce livre, votre sujet de thèse est arrivé ? Vous enseignez l'histoire du cinéma je crois, a l'université de Lorraine, cest davantage par cet angle que celui
de l'histoire ou de la sociologie que votre regard s'est posé.
Le livre est effectivement issu de ma thèse de doctorat que j'ai soutenu en 2013. Après avoir trouvé un éditeur, j'ai repris le manuscrit original pour lui apporter des modifications et pour le
raccourcir considérablement afin de proposer un synthèse de mes recherches sur l'histoire du mouvement des ciné-clubs en France après la Seconde Guerre mondiale.
Je suis historien de formation. J'ai obtenu un Master en histoire contemporaine à l'Université de Toulouse II Le Mirail (aujourd'hui Université Jean Jaurès) avant de faire ma thèse à l'Université
Paul Verlaine de Metz (aujourd'hui Université de Lorraine). Paradoxalement, je n'ai jamais été inscrit dans un cursus d'études cinématographiques avant ma thèse. J'ai toujours travaillé sur le
cinéma par l'intermédiaire de l'histoire et de sa méthodologie. Aujourd'hui, j'étudie et j'enseigne donc l'histoire du cinéma et de la cinéphilie à l'Université de Lorraine. La sociologie est
également présente dans mon travail. Je suis rattaché à un laboratoire de sociologie (le Laboratoire Lorrain de Sciences Sociales) et je m'appuie sur cette discipline pour travailler sur les
publics du cinéma et étudier leurs cinéphilies, soit le rapport qu'ils entretiennent avec le cinéma : leurs goûts cinématographiques, la façon dont ils consomment des films (en salle, dans leur
salon, seul ou à plusieurs), etc.
Vous indiquez dans votre livre que la cinéphilie a 2 origines historiques ?
Je ne pourrais dire quelle est l'origine de la cinéphilie mais je pense en revanche que l'on peut distinguer au moins deux postures cinéphiles dès le début du XXe siècle.
La première, la plus connue et la plus étudiée, est une cinéphilie que l'on pourrait qualifier de savante et d'élitiste qui se développe en France dans les réseaux de la première avant-garde
cinématographique (souvent associée au courant de "l'impressionnisme cinématographique"). Une partie de l’intelligentsia parisienne, composée entre autres d'intellectuels, de critiques
et/ou d'écrivains, se prend de passion pour le cinéma et se met en tête de démonter au reste de l'élite culturelle de la période (des années 1910 aux années 1930) qu'il s'agit d'un art à part
entière (le septième en l’occurrence). On peut citer entres autres Louis Delluc, Ricciotto Canudo, Germaine Dulac, Jean Epstein, Abel Gance, etc. Cette génération de cinéphiles nés à la fin du
XIXe siècle, écrivent des ouvrages consacrés au cinéma, publient des critiques de films, crée des revues spécialisées (Le Journal du Ciné-Club,
Cinéa, La Gazette des Sept Arts, etc.), contribue à la constitution d'un premier panthéon d’œuvres qu'elle juge représentatives de ce nouvel art cinématographique (les films d'Eisenstein,
Cecil B. DeMille, Charlie Chaplin, D.W. Griffith, etc.). Certains d'entre eux réalisent également des films en multipliant les expérimentation visuelles. Enfin, ces cinéphiles constituent dès
1920 un réseau de séances spécifiques dans des salles de cinéma spécialisées qu'ils nomment "ciné-club", généralement en présentant le film et en
proposant un débat à l'issue de la projection. On parle ainsi d'une première vague cinéphile qui se cristallise autour des ces figures mythiques ayant largement contribuer à faire reconnaître le
statut artistique du cinéma dès l'entre-deux-guerres. On qualifie donc généralement cette cinéphilie de "savante" (ou "éclairée") du fait de son ancrage dans la sphère intellectuelle et
culturelle de la période, et d'élitiste car ses représentants sont essentiellement issus de la bourgeoisie et qu'ils proposent des séances privées quasi exclusivement réservées à un public
spécifique, issu de l'intelligentsia des grandes villes françaises). Concernant l'étude de cette cinéphilie, les travaux de Christophe Gauthier sont incontournables, en particulier son
ouvrage La Passion du cinéma : cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris de 1920 à 1929 publié en 1999 aux éditions de
l'AFRHC. Certains héritiers de cette cinéphilie seront également mis en lumière par les travaux d'Antoine De Baecque dans son ouvrage La cinéphilie. Invention d'un regard, histoire d'une
culture (1944-1968) (Fayard, 2003).
La seconde est une cinéphilie que l'on pourrait qualifier de "populaire" et qui s'observe chez les spectateurs et les spectatrices développant une véritable passion pour le cinéma dès le début du
XXe siècle. Les témoignages de cette cinéphilie populaire sont rares car ces publics ont laissé très peu de traces écrites. Outre quelques rares journaux intimes retrouvés au grè des découvertes,
reste les courriers des lecteurs et des lectrices, publiés dans les premières revues spécialisées (Cinémagazine, Ciné pour tous, Cinémonde, Mon ciné) qui constituent les principaux témoignages du goût et des pratiques de ces passionnés. On retrouve à travers ces sources les preuves du développement d'une exigence de ces
spectateurs ordinaires qui, de par leurs expériences intensives du cinéma, deviennent des experts amateurs. En revanche, ces cinéphiles longtemps invisibles ne verront pas cette expertise
officiellement reconnue du fait de leur position sociale et de l’inaccessibilité à des modes d'expression jugés légitimes. Ils n'en demeurent pas moins les représentants d'une cinéphilie
passionnante à étudier comme en témoigne les travaux de Christian-Marc Bosséno, de Fabrice Montebello, de Jean-Marc Leveratto ou encore de Myriam Juan.
Après la Seconde Guerre mondiale, les ciné-clubs, désormais rattachés aux mouvements d'éducation populaire, deviendront un lieu de rencontre pour
ces deux "réseaux" cinéphiles.